John Wick Chapter 2 : du Graphic Novel au Comic Book
Sleeper hit de 2014 qui je le confesse, m’avait à l’époque mis la claque que Interstellar, blockbuster sorti dans les mêmes eaux, ne m’avait pas donnée, John Wick revient cette semaine dans les salles dans une suite simplement intitulée Chapter 2 , l’une de ses nombreuses connexions avec le monde de la bande-dessinée. Un nouvel opus qui obéit au célèbre adage “bigger, better” qui par moments, le fait déraper vers le “badder”.
Mais avant toute analyse du film de Chad Stahelski et David Leitch (même si seul le premier reçoit le crédit de la réalisation au générique), revenons sur ce qui faisait le succès de son aîné. Non pas en guise de case départ obligée pour ce papier, mais plutôt pour mieux comprendre en quoi cette suite s’est parfois égarée. Assurément, à l’heure où les montages épileptiques et autres shaky cams sont légion — souvenez-vous de ce pauvre Liam Neeson qui a besoin de 14 plans différents pour escalader un grillage dans Taken 3 — John Wick premier du nom brille par un découpage méticuleux de ses séquences et une préparation très rigoureuse de ses cascadeurs, qui permet à l’action d’être non seulement lisible mais aussi jouissive, et ce, pour un coût dérisoire comme le précisaient les réalisateurs au micro de Screen Junkies.
Il est en effet moins cher de préparer un acteur et/ou des cascadeurs que de prévoir des explosions massives ou des troisièmes actes sur fonds verts bourrés d’effets spéciaux. Et pourtant, l’impact que l’action aura sur le spectateur sera au moins aussi violent, voire plus, comme le montrait si bien le premier John Wick en nous faisant frémir pour son personnage principal, dont l’unique motivation était la vengeance, après la mort d’un petit chien offert par son épouse dans un dernier souffle et le vol d’une voiture. Une simple caisse, comme nous le rappelle la suite dans son ouverture. Pourtant, ce second film peine à appliquer la formule instaurée par son aîné. Ou du moins, elle en reprend la recette mais en ajoutant des ingrédients qui finissent par profondément changer le goût de cette actioner exemplaire dans sa mise en scène de l’action.
En effet, John Wick avait beau tuer pas moins de 77 personnes dans son premier film, le tour de force des réalisateurs était de me faire croire qu’il luttait pour chacun d’eux. Une idée qui était d’ailleurs la promesse de base du premier scénario de John Wick, qui le faisait tuer 4 à 6 personnes au total. Soyons honnêtes, le croque-mitaine — son surnom — n’était pas toujours en difficulté face à ses adversaires, et utilisait un arsenal varié pour se sortir des situations les plus périlleuses. Mais malgré ce Kill Count hallucinant et ses techniques variées, j’arrivais à m’investir dans la croisade de ce personnage passé maître dans l’art du meurtre. Et ce ne fut jamais le cas dans ce second chapitre. Peut-être parce que le scénario de Derek Kostlad nous touche un peu moins que la mort d’un petit chien, symbole ultime de l’innocence.
L’intrigue est assurément un premier problème mais il me paraît presque anecdotique à côté d’une idée toute bête : le fait que notre personnage porte maintenant un costard doublé comme un gilet pare-balles. Une véritable armure qui dès qu’elle apparaît à l’écran, nous fait comprendre que nous avons affaire à un tout autre John Wick. Et une fois le deux-pièces enfilé, il ne faut que quelques minutes à notre héros pour encaisser sans broncher quelques balles à une distance très réduite, enterrant ainsi définitivement la tension qui pouvait se dégager des gunfights.
Toujours aussi bien exécutés, ceux-ci mettent une gifle à Hollywood et ses sales manies du moment : ici, chaque plan compte, et la conception en amont des cascades ou du simple déplacement des personnages transforment la géométrie déjà parfaite du film en un ballet de mort tout simplement jouissif. Seulement, le frisson derrière notre nuque change de nature. Le spectateur, qui luttait avec Wick, devient voyeur dans des scènes d’action qui sont essentiellement conçues pour nous offrir plus et plus vite. Pour ne pas gâcher votre plaisir mais vous convaincre tout de même, je prendrais cet exemple tout bête : si dans le premier film, John Wick luttait au corps-à-corps avec trois hommes au premier plan, dans sa suite, quatre hommes vont rentrer par les extrémités du cadre, simplement pour se prendre un headshot.
Le verdict est sans appel : John Wick semble désormais doté d’un don de prescience. Ajoutez à cela l’armure que j’évoquais tout à l’heure et la visée infaillible du personnage, et vous obtenez un pur super-héros. Et encore, je n’ai pas mentionné les formidables capacités de guérison de notre tueur, déjà robuste dans le premier film, mais ici tout simplement immortel. Et c’est un problème, un vrai problème pour ce second chapitre, qui jamais, ne me fait accepter la scène d’action en dehors de son côté spectaculaire. En somme, l’action est magistrale, époustouflante, mais injustifiée. Comme si les réalisateurs n’étaient pas tout à fait conscient des qualités de leur premier bébé, qui certes était excellent dans sa mise en scène de l’action, mais surtout dans la façon de la justifier, de la contextualiser, de la mettre en relief.
76 cadavres pour un homme n’a rien de réaliste. N’allez pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. Mais chaque mort dans le premier film semblait avoir été pensée, là où la moitié de celles qui défilent — car il s’agit d’un défilé — est là pour donner une ampleur tout à fait dispensable. A mon sens, John Wick Chapter 2 rate donc son dosage, et aurait mérité d’être un peu plus équilibré, un poil moins spectaculaire et plus fin, quitte à faire voler les règles instaurées dans un troisième et sans doute dernier opus, pas encore annoncé mais déjà promis par le final. Le cas de cette suite est donc un rien complexe, d’autant que l’appétit des réalisateurs ne se limitent pas à l’action.
Non, la mythologie qui était si discrète mais tellement intrigante du premier opus se voit elle aussi gonflée dès la première scène. Et si l’approche prise par les réalisateurs, qui nous dévoilent des dizaines d’éléments nouveaux sur ce qu’on pourrait appeler “la société du Continental” nous offre des séquences déjà cultes et quelques belles idées de montage, difficile d’enregistrer toutes les infos , y compris les plus folles, quand le premier film prenait soin de doucement distiller son univers et ses jolies références. Résultat, oubliez le Styx qu’on paie d’une pièce d’or avant l’au-delà, et dites bonjours à une quantité astronomique de détails qui manquent souvent de tact, même si tout n’est pas à jeter non plus, en témoigne, par exemple, Ares et Cassian, les personnages incarnés par Ruby Rose et Common, très attachants.
Reste un Keanu Reeves toujours aussi dédié et spectaculaire dans son exécution des cascades et des techniques à bases de flingues en tous genres. La dévotion du bonhomme n’est plus à prouver, certes, mais elle continue d’impressionner et de nous attirer un minimum de sympathie — à défaut d’empathie — pour son personnage, qui déborde toujours autant de cool mais n’a plus l’humilité ou la fragilité, ne serait-ce que physique, qu’il avait dans le premier opus. Un peu à la manière d’un vrai super-héros, Batman, qui lors de sa dernière apparition à l’écran, utilisait les mêmes armes que ses adversaires, tout en étant à l’épreuve des balles, littéralement.
Comment s’investir dans une croisade comme celle du chevalier noir ou dans une odyssée aussi vengeresse que celle de John Wick quand rien, ni personne ne semble pouvoir arrêter nos protagonistes ?
Pour des cascadeurs, chorégraphes et penseurs de l’action géniaux, Stahelski et Leitch tombent dans une erreur bien grossière en oubliant cette question. Presque sacrée, elle semblait dicter la construction du premier John Wick, ou du moins, son dosage. Sa suite s’en affranchit, pas toujours pour le mieux, même si les idées des deux réalisateurs et leur maîtrise chirurgicale de l’action, largement au-dessus des canons hollywoodiens, rendent leur long-métrage tout à fait addictif. Seulement, l’originalité, la saveur et la singularité de John Wick, que les metteurs en scène empruntaient de leur propre aveu au Graphic Novel, cette branche un peu intello’ de la bande-dessinée américaine, laisse ici sa place à un déluge d’action et de mythologie qui rappelle plus volontiers les Comic Books, dans leur forme leur plus populaire. Une petite descente en gamme qui rend ce John Wick Chapter 2 un peu triste, même si les fans de Matrix ne pourront que frissonner devant les retrouvailles entre Keanu Reeves et Laurence Fishburne, qui à elles seules, valent le détour.
Pour aller plus loin : le réalisateur Joe Carnahan et l’acteur Frank Grillo parlaient il y a peu de cette tendance aux héros invincible sur Collider !